Prologue
— Mes frères, mes sœurs ! L'heure est grave à Ara-Ëlis, commença Eldric. Les Korrigans ont rompu la paix avec les humains. La caserne d'Efi a été prise d'assaut, les Maîtres Guerriers et leurs apprentis ont été tués. Les Guerriers patrouillent sur les murailles d'Efi. Les Loups se sont joints à eux. Les Enchanteurs remontent du sud accompagnés des Equusiens. Les Mage des Éléments tissent une protection autour des villages et des villes de toute l'île. Cependant, les Korrigans ont fait un pacte avec une magie si sombre que toutes les protections d'Ilissiæ ne pourraient les arrêter. Que ferons-nous ?
— D'où provient la magie qu'ils utilisent ? s'enquit Naomy.
— Là réside le problème… répondit le premier. Elle ne vient pas d'Ilissiæ !
Les ennuis commencent… songea Lucca. Cela faisait cinq minutes qu'il était arrivé, mais aussi cinq minutes qu'il contemplait ses pieds nus en écoutant, d'une oreille distraite, son frère. Cette dernière phrase le poussa cependant à relever la tête et à regarder les quatre autres. Le Conseil des Dieux réuni en urgence par Eldric, le dieu-aigle, promettait d'être intéressant.
À la droite de Lucca trônait son aînée, Aurélia, la déesse-corbeau, Reine du Panthéon. Elle avait l'apparence d'une jeune femme au teint mat avec de longs cheveux bruns et des yeux noisette. Son nez était court et sa bouche, fine et rieuse. Elle était vêtue d'une longue robe noire dont l'apparence laissait penser qu'elle était faite de plumes. Une tres fine cicatrice parcourait sa joue gauche. Sa main droite jouait avec la chaîne argentée qu'elle portait au cou. Devant elle étaient posées deux dagues à la garde d'ébène et à la lame d'argent.
À la gauche de Lucca se tenait Eldric, le dieu-aigle, né le second. C'était un homme d'âge moyen avec des cheveux roux, des yeux verts et un nez aquilin. Sa peau était d'un blanc immaculé. Il portait une tunique de couleur beige et des bottes blanches. Un anneau d'or était visible à son oreille droite, ainsi qu'une longue cicatrice sur la cuisse gauche, que Lucca lui avait infligée quelques siècles auparavant, dans leur première jeunesse. Ses armes étaient une rapière et un arc qu'il portait en bandoulière. Un carquois rempli de flèches aux plumes d'aigles était appuyé contre son siège.
À la gauche d'Eldric, un jeune homme d'une vingtaine d'années, tout en muscle, aiguisait son cimeterre. Arthur, dieu de la force, avait une peau sombre recouverte de poils noirs et drus qu'il tenait de sa forme animale, l'ours. Il avait les cheveux bruns, des yeux noirs et un nez écrasé. Il avait endossé une armure d'argent qui lui servait d'armure d'apparat. Un pendentif de cristal retenu par une chaîne en or, enchanté par Naomy afin de la protéger de la magie, tombait sur son torse. À ses pieds se trouvaient deux dagues, deux glaives et une épée bâtarde. Toutes ces armes avaient une lame d'argent et une garde en or. Un cristal et une émeraude étaient enchâssés dans la garde de l'épée.
Le quatrième dieu à être né était Lucca, le dieu-guépard. Il paraissait avoir soixante ans, cependant sa chevelure était dorée, sans la moindre trace d'un cheveux gris ou blanc. Sur sa peau sombre ressortaient ses yeux jaunes. Il était glabre et avait un nez droit et fin. Les habits qu'il avait enfilé étaient légers, de sorte qu'il puisse réagir à n'importe quoi sans être retenu par ses vêtements. Quatre couteaux de lancer dont les lames étaient empoisonnées étaient accrochés sur son dos.
Enfin, la benjamine, se tenant entre Aurélia et Arthur, était la déesse-louve, Naomy. Cette femme âgée aux cheveux d'argent et aux yeux bleus était petite et frêle. Elle était affublée d'une longue robe blanche immaculée. Un anneau argenté retenu par une chaîne en argent reposait sur sa poitrine. Son bâton de pouvoir était posé sur ses cuisses.
Voilà le groupe que formaient les cinq Dieux d'Ilissiæ. Tandis que les quatre autres étaient plongés dans leurs pensées, Lucca garda le silence. Puis, au bout d'une minute, ce qui était déjà très long pour le dieu de la célérité, il demanda à la benjamine :
— Naomy, cherche vite une solution, sans quoi nous serons obligés d'agir. Mais j'ai l'impression qu'une idée t'a effleurée. Quelle est-elle ?
— Une solution que je n'aime pas et qui est risquée. Au prix de la mort d'un membre de la famille royale d'Ara-Ëlis, nous pourrions envoyer les Korrigans dans le monde d'où provient leur magie.
— Et quels sont les risques d'une telle action ? s'inquiéta Aurélia.
— Premièrement, une petite erreur ferait que les habitants d'Efi partent dans et endroit inconnu, plutôt que les Korrigans. Deuxièmement, il nous faudrait créer un ou plusieurs passages entre les deux mondes, ce qui pourrait permettre aux Korrigans de revenir.
— Te connaissant, petite sœur, tu as déjà trouvé des solutions à ces problèmes, rit Arthur de sa voix grave.
— Pour le premier, la seule chose que nous pouvons faire est d'être attentifs. Quant au second, nous pourrions enchanter le portail de manière à ce qu'il change d'endroit chaque jour. Un enchantement en langue ancestrale fonctionnerait à merveille, je pense. Et si malgré tout les Korrigans revenaient, une alliance des cinq ordres résoudrait à coup sur le problème.
— Donc, le seul problème est que cette option fait couler le sang de quelqu'un de la famille de ta fille ? s'enquit la déesse-corbeau. Nous ne pouvons nous permettre d'être sentimentaux dans une situation comme celle qui se présente à nous, ma sœur. Je ne veux pas plus que toi la mort de quelqu'un de la famille d'Alissia. Mais je refuse que des milliers d'innocents meurent par notre faute. Nous devons agir.
— J'en suis pleinement consciente, ma sœur. Mais qui devons-nous sacrifier ? Alissia, Reine d'Ara-Ëlis ? Loïc, son père ? Léo, le mari d'Alissia ? Ou encore Clément, le jeune prince ?
— Nous ne priverons pas un Royaume de la personne qui le dirige, en l'occurrence ta fille, dit Eldric. Tuer Clément serait tout aussi cruel, étant donné qu'il est l'héritier du Royaume. Loïc n'est qu'un subalterne de la Meute. Tandis que Léo est l'Alpha. Il est plus important que Loïc. Cependant, bien que sa mort ravagera Alissia de chagrin, le royaume des Loups sera sauvé et il aura toujours sa Reine et son Prince.
— Je suis de l'avis d'Eldric, se prononça Lucca. Arthur ? Aurélia ? Naomy ? Qu'en dites-vous ?
— C'est sûrement la meilleure solution… murmura la déesse-louve.
— Léo mourra et la paix sera rétablie ! s'écria Arthur.
— Très bien, je vais me ranger de votre côté, dit Aurélia. Lucca, Naomy, venez avec moi. Nous devons parler à quelqu'un, il me semble.
Quoi !? Aurélia m'emmène vraiment voir Alissia ? Mais qu'est-ce qui lui prend ? Elle n'a pas peur que je sois trop franc avec la Reine ?
Les autres regardaient la déesse-corbeau avec étonnement, du fait du choix qu'elle avait fait, mais aussi du fait de la rapidité avec laquelle elle avait clos la discussion, elle qui aimait discuter pendant des heures avec ses frères et sa sœur. Cependant, son air impatient dissuada Eldric et Arthur de poser la moindre question, et ils quittèrent la salle après avoir légèrement incliné la tête devant leur sœur. Cette dernière regarda Lucca gravement et dit :
— Pas de vagues. Tu ne dois pas nous empêcher de mener notre mission à bien.
— Dans ce cas, pourquoi souhaites-tu que je vienne ? s'enquit le dieu-guépard, perplexe. N'as-tu pas peur de ce que je vais dire ?
— Nous allons voir le Roi et la Reine seuls. Et quand tout le monde sera parti, je parlerai. Si, comme je m'y attends, Alissia et Léo refusent, Naomy résonnera sa fille tandis que nous nous saisirons de Léo. Puis, dans la salle du trône, je sacrifierai le Roi tandis que nos frères et vous deux assurerez l'enchantement. Puis tout sera affaire de vitesse pour que nous envoyions les Korrigans dans le portail. Est-ce bien clair ? termina Aurélia.
— Oui, ma sœur. Je me sens prête pour la dure tâche qui m'attend, murmura la déesse-louve. Allons-y.
Les trois Dieux s'assirent en tailleur à la place qui leur était réservée et disparurent pour surgir un instant plus tard sur un sol herbeux où le symbole des Dieux était reproduit en pierre sur le sol. Ils se mirent sur leurs pieds et un instant plus tard, un gueépard, une louve argentée et un grand corbeau fuyaient à toute allure vers l'ouest. Naomy enchanta l'océan de manière qu'elle et son frère puissent le traverser sans avoir à se téléporter, gardant leurs capacités pour l'enchantement qu'ils devraient faire peu après.
Après une douzaine de minutes, les trois Dieux, sous leur forme humaine, se trouvaient dans l'entrée du palais d'Efi. Ils pénétrèrent en catastrophe dans la salle du trône où avait lieu un conseil de guerre.
— Mère ! s'écria la grande femme aux cheveux blonds. S'il vous plaît, ajouta-t-elle à l'intention des conseillers, laissez-nous. Léo et moi devons nous entretenir avec nos prestigieux invités.
Les cinq conseillers se levèrent et quittèrent la salle, laissant seuls dans celle-ci la femme qui avait parlé et un homme petit et gros aux cheveux gris clair. Il portait un pantalon noir et une chemise blanche ainsi qu'une couronne à laquelle était enchâssé un rubis. Sa femme avait des yeux bleus, un nez droit et une bouche fine. Une turquoise retenue par un lien de cuit tombait sur le décolleté de sa robe blanche immaculée. Un anneau d'or sans aucune décoration reposait sur sa tête. Ils s'inclinèrent tous deux devant les trois Dieux.
— Que me vaut l'honneur de votre visite ? demanda Alissia. Venez-vous nous aider contre les Korrigans ?
— Alissia, Léo, commença Aurélia, l'heure est grave. Comme vous le savez, votre ville est menacée par les Korrigans. Nous y avons réfléchi et Naomy a trouvé une solution, qui n'est certes pas la meilleure possible, mais qui est la seule envisageable. Elle ne nous plait pas, mais nous devons la mettre en œuvre pour les milliers d'innocents qui périront si nous ne faisons rien.
— Et quelle est cette solution ? fit Léo.
— Nous devons tuer un membre de la famille royale, et pour vous épargner d'avoir un choix à faire, nous l'avons fait pour vous. Nous ne tuerons ni la Reine, ni le Prince héritier. Ce qui ne nous laisse guère le choix. Loïc n'étant pas un membre central pour le Royaume, son sang n'aurait pas assez d'influence. Tandis que vous, Léo, êtes l'Alpha de la Meute et le Roi. Vous devez être sacrifié pour le bien d'Ilissiæ toute entière.
— Non ! hurla Alissia. Pas Léo, vous n'avez pas le droit, je m'y oppose !
Soudainement, Naomy fut devant elle, ses mains sur ses épaules, dans l'espoir de la calmer. Au même moment, Aurélia et Lucca se saisirent des bras de Loïc et la plaquèrent sur la longue table au centre de la pièce. Aurélia posa un genou sur son dos et tira une dague de sa ceinture, qu'elle plaça sous la gorge du sacrifié. Naomy et Lucca commencèrent l'incantation en langue ancienne, tandis que Loïc relâchait toute résistance, ayant compris qu'il ne pourrait rien faire pour sauver sa vie, et acceptant de sauver son peuple d'une mort cruelle.
Alors que résonnèrent dans la salle les derniers mots de l'enchantement, sa tête roula sur le sol en laissant des traces de sang derrière elle, tandis qu'Alissia s'effondrait, ravagée par le chagrin.
Un effroyable orage éclata au-dehors, tandis que disparaissaient les Korrigans à travers le portail créé par les Dieux.
Au moment où les derniers Korrigans franchirent le portail résonnèrent quelques vers dans la salle du trône :
Plusieurs mois de guerre ont laissé des marques
Mais la Grande Faucheuse n'est pas partie,
Quand sonnera le grand combat
Elle seule pourra sauver Ilissiæ. »
— Ils nous ont maudi… murmura Aurélia. Mais je dis que jamais cette Grande Faucheuse ne viendra en Ilissiæ.