*
— Sérieux mec, faut que tu refasses ta déco. Ça craint.
Je lève les yeux au ciel. B-4, un vrai petit comique.
— Si tu savais ce que c’est, tu changerais d’avis !
Depuis le temps qu’on se connaît, c’est la première fois que mon ami entre dans ma chambre. On s’est rencontrés à l’hôpital, il y a un an, au hasard d’un accident de voiture qui m’a pris mes deux jambes. Le plus drôle, c’est qu’on avait déjà passé deux ans dans la même fac, et qu’on ne s’était jamais parlé. Lui grand et maigre, moi plutôt moyen. Moyen est un adjectif qui me va pas mal physiquement parlant. Taille moyenne, corpulence moyenne… J’ai dû passer toute ma croissance sur la ligne rouge de la courbe poids et taille du carnet de santé. Jusqu’à mon accident : je me suis un peu empâté depuis. Lui, la seule chose qui manque à son corps de parfait scientifique binoclard, c’est un bras. Pas très pratique. Il y a plein de choses qui deviennent galères, avec un bras en moins. Tiens, essayez un matin, de vous habiller avec une seule main ! Vous verrez…
Maintenant, on est inséparables… Je l’aurais bien invité chez moi plus tôt, mais ma mère a vraiment du mal avec tout ça, les jambes en moins, les bras en moins, vous voyez ce que je veux dire. Alors j’ai attendu son voyage en Angleterre pour faire visiter ma piaule à B-4.
— Je suppose que tu as une raison parfaitement honorable pour expliquer ça ? réplique-t-il.
Ma chambre est plutôt bien rangée, je n’aime pas éparpiller mes affaires et j’ai toujours pensé que les cours en vrac sont des cours perdus… Pas de posters non plus, je suis pas du genre à avoir une tête d’Harry Potter d’un mètre de haut sous mon nez en permanence. Non, les quatre murs sont blancs. J’ai simplement fait peindre une ligne de lettres noires et rouges qui tourbillonne et passe jusque sous mon bureau.
— Qu’est-ce que tu vois ? demandé-je à mon ami.
— A-T-C-C-A-G… annone B-4. Oh non. Tu n’as pas fait ça ?
— Eh si, c’est un bout de mon génome que tu as sous les yeux. J’ai participé à une étude et ils ont séquencé ça…
— Respect. C’est la classe ! Ça date de quand ?
— De la semaine où je suis venu dormir dans ton salon ! Ta mémoire est sur off dès qu’on parle d’autre chose que de la physique…
Il s’assoit sur mon lit.
— À propos, tu as fini les plans ?
— Presque ! Je voulais qu’on retouche un ou deux trucs, on verra ça demain.
— Fais voir !
Et voilà, au lieu de passer une soirée pépère à regarder un film entre potes, on refait le coup du prototype. Ça nous fait rêver… Et si un jour, on arrivait à fabriquer notre propre prothèse ?
Pendant près d’une heure on bosse sur mes croquis, puis B-4 me lance :
— On pourrait y arriver, tu sais. Tu as vraiment des idées de génie, il faut vite que tu poses un brevet là-dessus.
— Arrête, on n’a rien pour le fabriquer, c’est que du vent !
— Un vent sacrément balèze. Tu sais quoi, je vais les dénicher les matériaux, mon père pourra sûrement m’aider. Le mois prochain, on se met au boulot.
— Parce que tu as un labo sous la main toi ? Où veux-tu qu’on fasse ça ?
— Chez moi ! On n’a qu’à libérer une partie du grenier de mes grands-parents, de toute façon ça fait longtemps qu’ils veulent faire du tri.
Je grimace.
— Quoi ?
— Grenier ça veut dire dernier étage, ça sous-entend aussi vieille maison, et dernier étage plus vieille maison égalent pas d’ascenseur…
— T’inquiète, ma grand-mère a une rampe avec une chaise pour l’escalier, il y a pas de soucis de ce côté-là.
— Et pour le matos ?
— On va devoir se trouver un job mon gars…
*
Un job. Facile à dire ! Ça se trouve comment, un job ? On va pas faire serveurs ou maîtres-nageurs, ça c’est sûr, et de toutes les manières j’ai jamais aimé l’eau.
Driiiiiing…
Je marmonne en arrêtant mon réveil pour la deuxième fois en vingt minutes. Cette fois, il faut vraiment que je me lève. Je me tire du lit avec toute la mauvaise volonté du monde puis je m’habille tant bien que mal, encore à moitié endormi, et je roule jusqu’à la cuisine. Mon petit-déjeuner se résume en général à un paquet de gâteaux biologiques de ma mère, mais puisque j’ai réussi à sortir des draps avant le troisième avertissement de mon réveil, je me permets de prendre du pain avec de la confiture. Confiture de framboises sauvages. Je sais pas si vous y avez goûté un jour mais rien au monde ne peut égaler ça. Un vrai régal. En dégustant ma tartine, je me revois dans la forêt, à galérer au milieu des ronces pour dénicher les précieuses baies. L’odeur de la confiture qui chauffe… Non, rien de meilleur.
Je passe à la salle de bain avant de récupérer mon sac. J’ai la chance d’habiter à deux pas du campus, ou à deux tours de roues, comme vous voulez, si bien qu’il est environ sept heures cinquante quand je passe mon palier.
//pas eu le temps d'aller plus loin, désolée...