« Les oreilles c'est comme les pieds ça se lave de temps en temps ! »
La jeune fille traverse sa chambre sans bruit, se glisse vers la fenêtre et se perche sur le rebord. Puis elle se laisse tomber dans la nuit.
Flash douloureux.
Une silhouette noire se fond dans l’obscurité des sous-bois, presque invisible parmi les troncs. L’exécutrice attend.*
— Je suis là ! m’écrié-je en lançant mon sac à dos dans un coin de la cuisine.
— J’ai déjà mis la table. Lave tes mains et on mange ! répond ma mère, affairée devant le fourneau.
— Papa n’est pas rentré ? demandé-je en plongeant mes doigts dans une boîte rouillée posée sur la table.
J’en tire quelques feuilles de sapofolia que j’écrase entre mes doigts, puis je m’enduis les mains du liquide épais que libère l’herbacée et les frotte l’une contre l’autre avant de les rincer dans un petit seau posé sur le plancher.
Je verrais bien deux phrases, ici, plutôt qu'une, non ? — Pas encore. C’est injuste qu’il travaille autant
; j’irai bien botter les fesses de ces fumiers d’ordreurs !
— Maman ! protesté-je pour la forme.
Les ordreurs, responsables de l’administration de la ville, font partie des personnages les plus importants de notre société et dans mon entourage, seuls mes parents se permettent de les évoquer sans une crainte respectueuse. Un manque de considération qui m’a toujours un peu choquée et amusée à la fois.
— Ils ne sont pas prêts de me faire taire, Anna. Tu verras
: un jour, tout ça changera, promet-elle en agitant une cuillère en bois en direction de l’Agora, un éclat dur dans les yeux.
C’est autour de cette place située en plein cœur de la ville que vivent les privilégiés de Sonir — notamment les ordreurs — tandis que les gens comme nous sont relégués à la périphérie.
J’observe ma mère tandis qu’elle ajoute les derniers ingrédients à sa préparation. Ses cheveux châtains sont attachés en une queue de cheval, comme lorsqu’elle jardine. Cette passion a sculpté son corps, musclant ses bras, durcissant la peau de ses mains et l’obligeant à se tenir très droite pour ménager son dos.
Mon père affirme souvent qu’elle me
(« que je lui » ? venant du père, il me paraît assez peu probable qu'il prenne la fille comme référentiel de comparaison ^^) ressemble beaucoup, que nous avons les mêmes yeux marron, les
même cheveux — même si les miens sont coupés en carré —, et surtout, la même énergie débordante. J’aimerais le croire. Ma mère, comme mon père, est forte
et courageuse. Je crois qu’ils ont perdu leurs parents très jeunes et on dirait que leur vie a été plus compliquée que celle de la plupart des gens. J’ai toujours imaginé que c’était cela qui les avait rapprochés mais je n’ai jamais pu en apprendre plus,
(car ? deux points ?) ils évitent le sujet.
— Qu’est-ce qu’on mange ? demande mon père d’une voix forte en passant la porte.
— Soupe de tap-tap ! répond ma mère en apportant le plat sur la table.
— Encore ? m’exclamé-je en même temps que mon père.
— Vous n’avez qu’à rentrer plus tôt et faire la cuisine, si cela ne vous convient pas ! réplique ma mère. Ce soir, j’ai ajouté quelques pommes de terre, ça changera un peu.
Je prends place derrière une assiette sans protester plus. Le tap-tap est une plante grimpante qui s’accroche aux façades des maisons de Sonir et produit des légumes violet pâle quasiment tout au long de l’année. C’est la base de notre alimentation et si j’ai l’impression d’en avoir assez mangé pour le reste de ma vie, ce n’est pas si mauvais que ça.
Mon père s’assoit face à moi.
— Rentre tes jambes ! m’indigné-je en le voyant s’étaler.
Il faut dire qu’il est grand, bien que pas très épais. Je comprends qu’il me cherche en voyant une lueur amusée dans le regard affectueux qu’il pose sur moi et m’évertue à l’ignorer.
— Alors
(virgule ?) mon oiseau, comment se sont passés tes cours ? me questionne-t-il.
Je grogne puis me dévoue à
(je ne suis pas sûr d'être d'accord avec cet usage du verbe « dévouer » ^^ je consens ? je daigne ?) raconter ma journée, trop bavarde pour bouder plus longtemps. Mon assiette disparaît pendant qu’ils me rappellent que je dois respecter mes professeurs et m’intéresser aux cours. Une fois le plat vide, nous achevons de le récurer avec des bouts de pains et j’aide mon père à porter la vaisselle que nous avons
empilées dans une bassine en bois jusqu’au point d’eau
(j'aurais bien mis une coupure quelque part, genre des tirets cadratins autour de « que nous […] en bois »), dans l’avenue. Il s’avance sur l’étroit ponton, plonge les assiettes dans la petite mare puis
, après les avoir frottées avec quelques brins de sapofolia,
[] me les tend pour que je les essuie avec un bout de chiffon.
[Retour ligne ?] Après avoir déposé la dernière assiette dans le bac, mon père me remercie et ajoute :
— Tu peux aller te coucher.
C’était le signal que j’attendais.
— Bonne nuit ! lancé-je avant de courir vers la maison.
Je passe la porte, mets un pied sur l’échelle…
— N’oublie pas ton sandwich demain, ma belle ! s’égosille ma mère depuis la chambre.
— Bonne nuit maman ! lui crié-je en grimpant les barreaux qui menaient à l’étage, ce coin de la maison qui m’était réservé.
C’est mon cocon de bois. Je suis entourée de cette couleur brun sombre, presque noire, qui est caractéristique des mélèzes cunctiens. Au centre, un matelas est posé au sol près d’une petite table de chevet. Le seul autre meuble est mon armoire dans laquelle mes habits sont fourrés en vrac.
Mes parents m’ont demandé de faire du rangement, mais je n’obéis pas. J’aime mon fourbi et de
toutes façons (j'avais fait des recherches là-dessus jadis, il me semble que ça s'écrit plutôt au singulier), ils ne montent jamais. Alors au lieu de trier les tas de bouquins qui traînent sur le parquet, j’allume ma bougie puis m’étends sur mon lit et attrape mon livre de chevet. C’est un ouvrage très ancien que ma mère m’a recommandé de manipuler avec précaution : il est vieux de cinq cent ans et s’est transmis de génération en génération ; elle-même le tient de ses parents.
[Retour ligne ?] J’ai failli faire une syncope
en voyant (je ne sais pas vraiment pourquoi cette phrase me dérange, à dire le vrai... ce n'est peut-être que moi mais j'aurais bien vu un repère temporel pour affirmer le passé simple, même si ça tient à réécrire en « quand j'ai vu » plutôt que « en voyant ») de quoi il s’agissait,
(deux points ? point-virgule ?) ce livre est unique ! Pour qu’il arrive jusqu’à moi, il aura fallu que ma famille soit entièrement constituée de fous amoureux des livres, ce dont je ne devrais pas m’étonner. Ma mère est bibliothécaire, mon père archiviste et je suis bien partie pour finir historienne. J’ai déjà dévoré de nombreux ouvrages expliquant le fonctionnement de Sonir, puis ma mère m’a prêté son livre. Elle sait que j’ai du mal à trouver des informations sur les fondateurs de la ville. Comme elle, je suis persuadée que ce vieux manuscrit m’en apprendra plus.
« Un incendie a récemment dévasté le nord de Sonir. La bibliothèque et les archives ont été perdues. Cette catastrophe rend indispensable la rédaction de nouveaux ouvrages et la mise par écrit de nos connaissances afin qu’elles se transmettent aux générations futures. C’est l’objectif de ce manuscrit. Je tenterai d’être le plus précis possible dans le récit des événements de la fondation à nos jours. »Histoire de Sonir, Phoronée, 1652
Cette introduction ne me surprend pas
: tous les livres que j’ai pu lire la
reprenne en expliquant que le livre de Phoronée est l’unique source de nos connaissances sur le passé de Sonir. Rien que ça.
« Quand Sonir a été fondée, nos ancêtres n’étaient que quelques centaines. Ils ont trouvé refuge dans une immense grotte sur le flanc nord du lac, avec à leur tête deux exécuteurs de génie, Amphia’r et sa compagne Léthé. »
Je trépigne. Des noms ! Enfin !
— Léthé… murmuré-je pour déguster
toute les saveurs de ce mot.
Intérieurement, je ne peux m’empêcher de jubiler à l’idée que Sonir n’ait pas été fondée par un homme, ni une femme, mais par leur union. Et autant pour mes amis machistes. Léthé a eu de la chance
: j’ai découvert il y a peu de temps
(tu pourrais peut-être mettre l'accent sur la rareté de la chose avec une tournure différente ?) que des femmes pouvaient être
exécutrice et avoir l’honneur de veiller à la sécurité des habitants de Sonir
, on ne met généralement pas de virgule devant les conjonctions de coordination mais cela ne devait pas être courant.
« Ce sont eux qui lancèrent la construction de plusieurs grands bâtiments au centre de la vallée, à l’emplacement de l’actuelle Agora. Rénovés à plusieurs reprises, ils abritent désormais les bureaux des ordreurs et des juges ainsi que l’école. Les fondateurs y logèrent quelques temps mais la notion d’intimité étant inexistante dans un tel lieu (j'ai l'impression que tu veux prendre un style un peu plus formel / recherché pour écrire ces passages, je pense que tu peux améliorer ce bout de phrase :p ), cette situation ne pouvait durer. Des maisons individuelles fleurirent et l’Avenue se dessina, spirale quittant le cœur de la vallée pour s’aventurer sur les hauteurs. » Je voudrais poursuivre ma lecture. Mais je sais que les derniers
rayons d’Aethra ont disparu derrière les montagnes. Il est temps.
Je souffle ma bougie et m’approche de la fenêtre sur la pointe des pieds, soucieuse de ne pas alarmer mes parents. Après l’avoir ouverte en grand, je sonde l’obscurité. Les
rayons d’Antigone et Hémée, les deux lunes qui illuminent les nuits de Sonir, sont dissimulés par les nuages sans pour autant que la pluie
ne (j'ai un doute quant à la validité de ce « ne » ; l'académie française nous dit que dans la construction « sans que », le « ne » explétif ne peut être utilisé que dans un contexte négatif et je ne pense pas que cette phrase réponde à ce critère... mais j'ai un doute ^^) menace. Parfait.
*
La jeune fille traverse sa chambre sans bruit, se glisse vers la fenêtre et se perche sur le rebord. Puis elle se laisse tomber dans la nuit.